Elina LABOURDETTE
Distinction et
séduction…
Une élégance
naturelle.
Elancée, coquette, spirituelle.
La Parisienne
type, du moins celle de notre époque de référence, celle des heureux souvenirs
qu'elle a accrochés à notre nostalgie cinématographique.
Des prestations
imprégnées de délicatesse.
Certes, nous
l’aurions souhaitée davantage présente
aux génériques.
Sa vie de femme
fut sans doute sa priorité…
Fille
d'un papa maître carrossier, spécialiste de l'habillage des voitures de luxe
(nous sommes en 1919 à l'époque des Dion Bouton, Panhard Levasseur et autres
beaux "carrosses"), elle naît
le 21 mai dans le quartier très huppé de la rue de la Pompe du XVIe arrondissement de Paris.
A
six ans, elle entre dans la classe de danse d'Alexandre Volinine, l'ancien
partenaire de la prestigieuse Anna Pavlova, mais alors
qu'elle excelle en entrechats et fouettés, des raisons de santé vont la
contraindre à abandonner toute ambition de danseuse étoile.
Elle
se tourne alors vers René Simon et très vite, du haut de ses dix-huit ans, elle
entrouve les premières portes de sa carrière cinématographique. C'est Léonide
Moguy, le premier, qui la dirige auprès de Corinne Luchaire dans sa Prison
sans barreaux. Il en fait une
pensionnaire, il est vrai assez proche de la figuration.
Georg-Wilhem
Pabst la sollicite l'année suivante pour un rôle nettement plus représentatif
dans Le drame de Shanghaï, elle y incarne la petite amie recueillie par
le journaliste qu'interprète Raymond Rouleau.
1939. Elle enchaîne avec Air pur sous la
direction de René Clair. Malheureusement, un titre peu approprié eu égard à
l'ordre de mobilisation qui envoie à la guerre la plupart des membres de
l'équipe de tournage. Quant à Clair, peu sûr de pouvoir poursuivre son métier,
il gagne Hollywood avec Braindel, son épouse d’origine juive, pour ne revenir
qu'après l'Occupation. Le film restera
inachevé.
Elina
gagne la "zone libre" à Nice pour y retrouver Claude Dauphin et sa
compagnie théâtrale parmi laquelle de jeunes talents sont en attente de
notoriété, notamment Madeleine Robinson et Danièle Delorme. Elle y joue entre
autres Les jours heureux, une alerte comédie de Claude-André Puget créée
deux ans plus tôt au Théâtre Michel.
Sa
présence sur la Côte est de courte durée car Claude Dauphin a décidé de
rejoindre discrètement le Général de Gaulle et les Forces Françaises Libres à
Londres.
Elina
revient donc à Paris et l'occasion lui permet de participer - bien modestement
- à deux films.
Deux
ans passent et en 1944, aux studios des Buttes-Chaumont ainsi que ceux d'Eclair
à Epinay-sur-Seine, Robert Bresson la dirige dans ce qui reste à jamais gravé
dans la mémoire des cinéphiles : Les dames du bois de Boulogne. Coiffée d'un haut de forme, les jambes gainées
de noir (préfiguration de ce que sera la Lola que lui fera connaître ce
magicien de Jacques Demy ?). Elle
surprend dans ce rôle magnifique de jeune danseuse de cabaret tombée dans
la prostitution et manipulée par une Maria Casarès sans aucun scrupule. Cette
adaptation d'un récit de Diderot et dialogué par Cocteau ayant été jugée trop
cérébrale (sic), sera boudée par le public. Bresson n'abordera son prochain
film que six ans plus tard. Quant à Raoul Ploquin, le producteur, il en
oubliera même jusqu’au talent de sa jeune et éphémère "protégée".
Plus
vigilant, plus éclairé, Fernand Ledoux la récupère pour le théâtre et la
convainc d'une tournée en Amérique du Sud. Une toute jeune débutante, qui vient
de triompher au Vieux-Colombier dans Huis clos, la dernière pièce de
Jean-Paul Sartre, fait partie de la troupe. Elina se lie rapidement d'amitié
avec celle qui deviendra bientôt Anne Vernon.
Elle
poursuit brillamment sa carrière sur scène avec entre autres Les mal aimés de
François Mauriac et Poil de carotte de Jules Renard.
C'est
à Fernand Ledoux que lui revient sa passion du théâtre, une instillation
soutenue par Jean Marchat et Marcel Herrand, la direction bicéphale du Théâtre
des Mathurins.
L'accomplissement
final s'effectue auprès de Jean-Louis Barrault et de Madeleine Renaud alors à
la direction du Théâtre Marigny. Elle y joue notamment La répétition ou
l'amour puni de Jean Anouilh, Œdipe d'André Gide, Maguelone
de Maurice Clavel, Les fausses confidences de Marivaux, Baptiste
de Jacques Prévert, cinq merveilleux
saphirs parmi d’autres qui illumineront sa remarquable théâtrographie.
Elle
participe aussi à des tournées, notamment avec
L'empereur de Chine de et avec Jean-Pierre Aumont où elle reprend
le rôle créé par Nadine Alari au Théâtre
des Mathurins.
Parallèlement,
elle renoue avec les plateaux de cinéma et on peut y relever, parmi ses rôles
les plus marquants, celui de la patronne de la compagnie de navigation de La
vierge du Rhin qui se heurte à son ex-mari de retour du front et devenu
indésirable : Jean Gabin.
Dans Le château de verre elle est
l'amie antiquaire et confidente de Jean Marais qui la délaisse pour Michèle
Morgan; une grande bourgeoise dans Edouard et Caroline une merveille de légèreté due à Jacques Becker;
l'amie de Sophie Desmarets dans Mon mari est merveilleux, une amusante
comédie tournée dans les décors naturels de Puget-Théniers; la
séductrice malicieuse de Elena et les hommes de Jean Renoir qui lui
permet de retrouver Jean Marais, mais cette fois prudente et vigilante, elle le
soustrait aux avances d'Ingrid Bergman; et une bien ravissante fleuriste qui se
laisse conter fleurette par ce grand bonimenteur de Robert Lamoureux dans Papa,
maman, ma femme et moi.
Quelques
années de plus et la voici maman en quête d’illusions perdues pour sa fille
fugueuse (Annie Duperoux) en butte à ses émois d’adolescente dans Lola, le
premier long métrage de Jacques Demy. Une ronde d’amours tristes où se
croisent et se décroisent des destins dans de superbes décors nantais et en
particulier celui de l’historique passage Pommeraye. Film admirable à propos duquel Pierre Marcabru ne peut s'empêcher de
s’enflammer : "Vous avez
certainement compris que je tiens "Lola" pour un des meilleurs films
français du nouveau cinéma, un film admirablement dirigé et où Anouk Aimée et
Elina Labourdette n'ont jamais été aussi justes, aussi fragiles, aussi émues.
C'est une sorte de charme ".
On
la retrouve maman d'une Catherine Deneuve débutante dans le sketch des Parisiennes
réalisé par Marc Allégret.
Il
y eut aussi Litvak et Cayatte, deux grands noms quelquefois injustement
décriés.
Pour
le premier, producteur et réalisateur, elle rejoint l’équipe française sur les
plateaux de A five miles to midnight / Le couteau dans la plaie. Elle
incarne la directrice de la maison Guy Laroche, ce qui paraît l'évidence
même. Litvak ne pouvait faire meilleur
choix.
Pour
Cayatte, elle campe une belle et riche quadragénaire manipulée par Renato
Salvatori, parfait en moniteur de ski et plus encore en gigolo de service
vivant à ses crochets.
Entre-temps,
Mocky réussit même à en faire une châtelaine quelque peu fofolle dans son très
acide et critiqué Snobs !
En
1969, au moment où le cinéma français connaît ses premières syncopes, elle
quitte le grand écran avec Le clair de terre du regretté Guy
Gilles. Défendu par des partenaires de choix : Edwige Feuillère, Annie
Girardot, Micheline Presle et Roger Hanin, Elina y campe une guide charmante et volubile à souhait vantant les
attraits du Marais à Paris. Un très beau
film d’un réalisateur peu encensé, disparu trop tôt, et dont ce sera vraiment
le seul succès public.
La
carrière d'Elina n'est pas terminée pour autant. La télévision la sollicite
pour des rôles intéressants : La cousine Bette d'après Balzac, Un
grand amour de Balzac de Jacqueline Audry, Les jeunes filles de Montherlant, L'œil du sorcier inspiré
d'une histoire vraie qu'elle tourne dans le Berri avec Christian Barbier.
C'est
en 1984, devant la caméra de Nina Companeez qu'elle se retire définitivement
avec Deux amies d'enfance produit par Antenne 2, un téléfilm en trois
parties dans lequel elle incarne la tante de Ludmila Mikaël, laquelle cherche à
reconstituer le passé de sa mère durant les années troubles de 1938 à 1945.
L'odyssée comprend aussi Aurore Clément, Marie Déa et Véronique Delbourg, qui
reprend le rôle d'Elina jeune. Ce seront ses dernières partenaires.
A
noter qu'elle fut aussi pour quelques films la voix française de Grace Kelly,
princesse avant même d’être couronnée, dont elle possédait le port, la classe
et la distinction. Pouvait-il exister
choix plus patent ?
Enfin,
on ne peut retracer le parcours d'Elina sans évoquer Louis Pauwels, son mari.
Homme d'esprit, brillant intellectuel, journaliste, écrivain, il fut rédacteur
en chef de "Combat", éditorialiste à "Paris-Presse",
fondateur, entre autre, du bimestriel "Planète" et du "Figaro
Magazine". Une énumération
nullement exhaustive. Elle vécut à ses
côtés plus de quarante années d'un bonheur intense jusqu'à son décès en janvier
1997. Il repose au cimetière de Mesnil-le-Roi dans les Yvelines, commune où ils
avaient convolés… Elina en robe blanche et grand chapeau.
L'Académie
Française lui ayant été anonymement refusée, Louis Pauwels fut néanmoins
élu membre de l'Académie des Beaux-Arts.
Ils
avaient adopté une fille, Zoé.
Sans
doute, aurait-elle pu briller davantage ? Sans doute, a-t-elle estimé sa
vie privée parfaitement remplie et bien
plus importante que la précarité d’une carrière.
Sans
doute.
Ce
qui est certain, c’est qu'elle reste durablement présente dans notre mémoire de
cinéphile.
Et
cela vaut autant que toutes les statuettes des Césars ou des Molières qui du
reste, à l’époque, n'existaient pas.
Toutefois,
juste récompense, signalons que promue au grade supérieur d'officier des arts
et des lettres, elle reçut la décoration des mains de son ami Jean Piat.
Avec nos vifs remerciements à Elina pour
son extrême gentillesse et sa grande très grande disponibilité.
© Yvan Foucart –
Dictionnaire des comédiens français (27 juin 2009)
(reproduction strictement interdite)
FILMOGRAPHIE
1937 Prison sans barreaux, de Léonide Moguy, avec Annie
Ducaux.
1938 Le drame de Shanghaï, de Georg-Wilhelm Pabst,
avec Louis Jouvet.
1941 Le pavillon brûle, de Jacques de Baroncelli,
avec Jean Marais.
1942 Des jeunes filles dans la nuit, de René Le
Hénaff, avec Gaby Morlay.
1944 Les dames du bois de Boulogne, de Robert
Bresson, avec Maria Casarès.
1947 Les trafiquants de la mer, de Willy Rozier,
avec Pierre Renoir.
1950 Les aventuriers de l’air, de René Jayet, avec
Ginette Leclerc.
Le
château de verre, de René Clément, avec Jean Marais.
Edouard
et Caroline, de Jacques Becker, avec Anne Vernon.
1951 Monsieur Fabre, de Henri Diamant-Berger, avec
Pierre Fresnay.
Tapage
nocturne, de Marc-Gilbert Sauvajon, avec Simone Renant.
1952 Mon mari est merveilleux, de André Hunebelle,
avec Sophie Desmarets.
Ouvert
contre X, de Richard Pottier, avec Yves Vincent.
1953 La vierge du Rhin, de Gilles Grangier, avec
Jean Gabin.
1954 To Paris with love /
Deux Anglais à Paris, de Robert Hamer, avec Alec Guinness.
1955 Elena et les hommes, de Jean Renoir, avec
Jean Marais.
Papa, maman, ma femme et moi, de Jean-Paul Le Chanois, avec Robert Lamoureux.
1956 C’est arrivé à Aden, de Michel Boisrond, avec
Dany Robin.
1957 La nuit des suspectes, de Victor Merenda,
avec Yves Massard.
1958 The truth
about women / La vérité sur les femmes, de Muriel Box, avec Laurence Harvey.
1960 Lola, de Jacques Demy, avec Anouk Aimée.
Vacances
en enfer, de Jean Kerchbron, avec Catherine Sola.
1961 Five miles to midnight / Le couteau dans la
plaie, d'Anatol Litvak, avec Sophia Loren.
Les Parisiennes, sketch "Sophie", de Marc Allégret, avec Catherine
Deneuve.
Snobs
!, de Jean-Pierre Mocky, avec Gérard Hoffman.
1962 Le glaive et la balance, de André Cayatte,
avec Renato Salvatori.
1967 Au pan coupé, de Guy Gilles, avec Macha
Méril.
Les
jeunes loups, de Marcel Carné, avec Roland Lesaffre.
1969 Le clair de terre, de Guy Gilles, avec Edwige
Feuillère.
TELEVISION (non exhaustif)
1958 La répétition ou
l'amour puni, de Jean-Paul Carrère, avec Jean-Louis Barrault.
1960 Les cinq dernières
minutes, sketch "Dernier cri", de Claude Loursais, avec Raymond
Souplex.
1961 On est tellement
seuls, de Roger Iglésis, avec Pierre Clémenti.
1964 La cousine Bette,
d'Yves-André Hubert, avec Alice Sapritch.
1967 Julie de Chaverny ou
La double méprise, de Jean-Pierre Marchand, avec Françoise Dorléac.
1973 Un grand amour de
Balzac, de Jacqueline Audry, avec Pierre Meyrand.
1974 Président Faust, de
Jean Kerchbron, avec François Chaumette.
Julie Charles, de
Jean Kerchbron, avec Ludmila Mikaël.
Les jardins du
roi, de Jean Kerchbron, avec Danielle Darrieux.
1975 Monsieur Jadis, de
Michel Polac, avec Claude Rich.
1976 Anne jour après jour,
de Bernard Toublanc-Michel, avec Sophie Barjac.
1977 Les jeunes filles, de
Lazare Iglésis, avec Jean Piat.
1978 Allegra, de Michel
Wyn, avec Rosy Varte.
1979 Les moyens du bord,
de Bernard Toublanc-Michel, avec Denise Grey.
L'œil du sorcier,
d'Alain Dhenault, avec Christian Barbier.
1981 Le piège à loups, de
Jean Kerchbron, avec Maurice Biraud.
1984 Deux amies d'enfance,
de Nina Companeez, avec Ludmila Mikaël.
© Yvan Foucart –
Dictionnaire des comédiens français (27 juin 2009)